Quelle est la place spécifique de votre organisation dans l’éducation populaire telle qu’elle existe depuis 1936, en particulier au regard de la problématique de l’émancipation, traitée dans ce numéro de Carnets Rouges ?
Les Francas, notre mouvement, a été créé en 1944 dans l’immédiat après-guerre, autour de deux valeurs essentielles : la franchise et la camaraderie. Deux valeurs qui ont d’ailleurs donné son nom à ce grand mouvement d’enfants mixte qui s’est appelé : les Francs et Franches Camarades. Issus du scoutisme laïc, au-delà des valeurs mentionnées précédemment, la volonté des fondateurs était d’éduquer des masses de gosses, considérant l’éducation dans toutes ses dimensions : dimension familiale, dimension scolaire, dimension des pratiques en dehors de ces deux sphères institutionnelles. Dit autrement, prise en compte du caractère global de l’éducation dans une perspective d’émancipation des individus mais aussi des collectifs.
Dans le paysage politique français et lorsqu’il s’agit d’éducation, les références sont plus nombreuses à la réussite, la démocratisation, qu’à l’émancipation. Quels sont à votre avis les points de blocage ? et leurs causes ?
Bien entendu, l’éducation, ou plus précisément l’action éducative, c’est-à-dire l’action réfléchie par les adultes pour éduquer les enfants et les adolescents, met en perspective la réussite. Pendant très longtemps, a été évoquée la réussite scolaire, est évoquée plus largement aujourd’hui la réussite éducative, la réussite éducative du plus grand nombre.
En ce sens, et parce que tout acte éducatif est pensé dans une perspective de développement de compétences, de progression, ce terme de réussite est utilisé, celui de démocratisation renvoyant - de notre point de vue - à la volonté de diffusion la plus large possible de l’éducation. Pour notre mouvement, il n’y a pas opposition entre ces termes réussite, démocratisation, émancipation et nous n’identifions pas de points de blocage.
Depuis plusieurs années des associations comme celle des Francas regroupées dans le CAPE (Collectif des Associations Partenaires de l’Ecole publique) mènent des actions complémentaires à l’école alors même que les logiques néolibérales des gouvernements successifs cherchent à transférer les missions de l’école au privé mais aussi aux collectivités territoriales, au monde associatif… et créent de fait des inégalités sur le territoire. Comment faites-vous face à ces logiques ?
Depuis notre création, et je l’ai mentionné précédemment, nous considérons le caractère global de l’éducation. C’est l’individu qui fait la synthèse entre les différentes influences qui vont concourir à son éducation et interagir avec lui. La complémentarité des interventions éducatives est de fait. Elle n’est pas le résultat d’une construction par les institutions. En ce sens, et notamment sur une problématique comme celle de l’éducation, la présence de la société civile organisée, la présence d’un engagement bénévole, militant, citoyen, pour la cause éducative nous semblent être essentielles pour que l’éducation serve la démocratie et la République. L’engagement des citoyens sur la question éducative est un facteur d’émancipation. Nous revendiquons que les politiques publiques, notamment celles relatives à l’éducation, puissent être co construites, co produites avec les pouvoirs publics. Ce ne sont pas les évolutions récentes qui génèrent, qui créent des inégalités sur le territoire, celles-ci pré existaient. Les évolutions récentes ne font que les mettre en lumière et nécessitent une mobilisation d’organisations comme les nôtres pour que soient prises en compte, plus largement, plus globalement, l’ensemble des politiques qui concourent à l’éducation dans notre pays ; que ce soient les politiques scolaires, culturelles, sportives, familiales ou celles des soutiens aux loisirs éducatifs.
Au regard de votre engagement dans l’éducation populaire, depuis plus de 70 ans, à quelles conditions l’éducation peut-elle participer à l’émancipation individuelle et collective ? sur quels leviers s’appuyer ?
Notre mouvement, après une démarche de deux années d’éducation populaire, vient d’élaborer et de voter son projet pour les cinq ans qui viennent. Au-delà de la réaffirmation des valeurs qui fondent notre action depuis notre création - humanisme, liberté, égalité, solidarité, laïcité, paix - notre projet, notre projet d’éducation, se projette dans une perspective globale de société caractérisée par six principes que nous considérons indissociables :
Une démocratie renouvelée et une République laïque qui garantisse les Droits de l’homme et du citoyen
Une économie au service de l’Humain
Une société porteuse de progrès et de solidarité pour tous
Une société ouverte à la diversité et fraternelle Une société respectueuse de l’environnement
L’éducation comme moteur de développement et de progrès humain
Alors que le creusement des différences socioculturelle s’accompagne d’un creusement des écarts entre élèves, et donc entre enfants, qu’est ce qui dans le contexte vous paraît essentiel à mettre en travail pour réduire les inégalités, donner à tous les enfants le même droit d’accès aux savoirs, à la culture ?
Pour répondre à cette dernière question, il convient très certainement de s’accorder sur une définition de l’éducation. Pour notre mouvement, l’éducation c’est l’ensemble des influences volontaires ou involontaires qui s’exercent sur l’individu et avec lesquelles il doit pouvoir interagir.
Les influences volontaires sont celles qui sont pensées par les adultes, que ce soit dans la sphère familiale, scolaire, périscolaire ou extrascolaire. Les influences involontaires sont celles issues des environnements de la vie des enfants et des adolescents. Celles-ci sont aujourd’hui insuffisamment prises en compte et partagées par l’ensemble des acteurs éducatifs ce qui conduit, dans les différents espaces éducatifs, à construire des réponses inadaptées.
Il y a donc la nécessité d’identifier plus particulièrement les besoins sociaux, éducatifs et culturels des enfants, des adolesscents et de leurs familles, de les analyser entre acteurs éducatifs et d’y porter réponse.
De ce point de vue, la dimension territoriale de l’éducation est aujourd’hui une nécessité. Les projets éducatifs territoriaux sont une avancée majeure qu’il convient de pouvoir saisir.
le 02 juin 2015
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.