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Les Héritiers (film) un travelling pour l’émancipation

Le présent article, ni approche philosophique, ni analyse d’un critique cinématographique, est un « relevé de notes » personnelles rédigées après projection. Le film est une comédie dramatique de Marie Castille Mention-Schaar, sorti le 4 décembre 2014. L’un des élèves, Ahmed Dramé a co-écrit le scénario à partir de l’histoire réelle de sa classe en 2008. Acteur, il tient son rôle dans le film

Lycée Léon Blum de Créteil. Le professeur d’histoire (Ariane Ascaride dans le film) décide de faire passer le concours national de la Résistance et de la Déportation à sa classe de seconde la plus difficile. Le thème proposé : « les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi. »

Au terme du travail : la visite du Mémorial de la shoah de Paris-Drancy et la rencontre avec Léon Zyguel, interné à l’âge de 15 ans à Auschwitz. Elèves et professeur gagneront le concours dans la catégorie « travail collectif » et seront transformés par cette expérience.

Ni pensum, ni cours magistral, ni mélo édifiant, c’est un film qui sonne juste.
« C’est tonique et ça donne de l’air ». (paroles de spectateurs, 80% satisfaits du film ; le critique de Paris Match souhaiterait même le voir inscrit dans les programmes des lycées). Le scénario est très autocentré : c’est la construction d’une séquence longue d’apprentissage. On ne s’écartera pas du sujet ; on ne connaîtra rien de la vie privée de la prof. Les incursions dans le quartier sont rares et brèves ; elles servent le propos. C’est scolaire au sens strict du terme – qui relève de l’école – Et cela est un « bon point ».

Le prologue (rencontre entre la CPE, le principal et une élève et sa mère) va initier tout le mouvement de l’histoire.

 La jeune fille, ex élève du lycée, vient chercher son attestation de réussite au bac ; elle est voilée. La CPE lui demande de se découvrir. Elle refuse. Pas de parti-pris véritable dans la scène ; chaque groupe présente ses exigences ; l’attestation demandée n’est pas donnée, mais littéralement, les deux musulmanes ont le dernier mot : « le voile, il y en a qui l’ont sur les yeux » (paroles de la jeune fille en quittant l’établissement).

 Le film sera donc comme annoncé, une entreprise de dévoilement : préjugés donnés à voir, dépassement de situations initiales, distanciation, un acte éducatif réussi, un chemin d’émancipations.

Les capacités orales de ces élèves sont étonnantes. La réalisatrice les a laissé beaucoup improviser, ils pratiquent un jeu avec le langage, ils ont un sens de la répartie aiguisé (parfois féroce, comme cette réplique d’un élève à l’adresse de la remplaçante, prête à pleurer devant ses difficultés à maîtriser la classe, « Madame Lemoucheux, vous voulez un mouchoir »), c’est la gouaille des quartiers populaires. En fait tout un potentiel inattendu dont il faut savoir tirer parti.

Cependant l’entrée dans la culture écrite est spécifique ; elle se fait dans un lieu séparé de la vie quotidienne et il y a des règles nécessaires pour cet apprentissage-là.

Ainsi la prof a ses exigences, dès l’entrée en classe : adieu casquettes, chapeaux, voiles, écouteurs, mobiles, chewing-gums… la rigueur est nécessaire ; c’est un rituel qui ouvre le temps de l’étude ; le temps des distanciations. L’émancipation, ça coûte.

Savoir s’affranchir du regard que les autres portent sur soi. Les autres profs n’ont pas confiance dans ces élèves : classe impossible, échec certain, admonestations-donne-moi-ton-carnet. Même le principal est sur cette position, « vous perdez votre temps » avec cette classe, nommée par euphémisme seconde n°1, les meilleurs sont en seconde « 8 » (détail excellent !). Eux seuls auraient droit au concours, eux seuls auraient droit à l’émancipation et à la culture ! Réflexe de classe, sacrée aliénation.

Or il y a ici un véritable affrontement de la difficulté intellectuelle, ce concours est exigeant. « c’est trop intello, Madame, vous voulez nous donner la honte, c’est bon pour les 8 ». La prof, Madame Gueguen (le combattant en breton) est tenace. Pas de contournement de la difficulté, ce professeur n’est pas dans la compassion-résignation. La recherche va se faire, étape après étape et l’ émancipation se construire… Emancipation encore avec le rôle de la famille. Des incursions

 très limitées. Deux scènes flashes. L’une est une scène de repas entre la mère et le fils. Ils dialoguent assis l’un en face de l’autre. Pratique familiale éducative, Malik est un ado déjà très construit, famille populaire mais sans doute riche de relations réciproques.

A l’opposé la jeune Mélanie qui manque de maturité, qui se cherche encore, souvent agressive. Peu de dialogue entre la mère et la fille. Chacun agit de son côté. Un milieu certainement beaucoup moins stimulant. C’est peu mais bien posé. Ainsi, on pourrait proposer deux lectures possibles pour le titre du film.

D’une part, « les héritiers », nom commun, sens ordinaire, hériter d’un patrimoine, passage de relais entre les générations ; les élèves, le professeur, le rescapé. Chacun a sa place, émancipation des préjugés, « Savoir regarder en arrière pour mieux penser en avant » (‘Nietzsche).

D’autre part « Les Héritiers », titre d’un ouvrage de Pierre Bourdieu ; clin d’œil humoristique : les élèves sont capables de faire mentir le sociologue. Foin du « handicap socio-culturel », l’accès à la culture est possible pour tous ; dans des conditions déterminées. On en retrouve certaines dans le film : regard positif sur les capacités des élèves, initiative pédagogique forte, niveau d’exigence pour les contenus, familles motivées, travailler ensemble pour réussir ensemble, d’où émancipation eu égard « aux origines ».

 «La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert » (Malraux). Cinématographiquement, ce n’est pas un chef d’œuvre, avis assez partagé de la critique experte. Soit. Cependant la succession de certains plans n’est pas inintéressante, les scènes étaient filmées simultanément par 3 caméras installées dans la classe. On a ainsi des suites de mini-séquences flashes qui suivent les interventions des élèves. On passera successivement d’une suite ininterrompue de lignes brisées, les affrontements, la concurrence inter-élèves, sorte de zig-zag assez stressant à l’image finale du cercle, la table ronde, ses égaux, lieu de la mise en commun, filmée en plan fixe avec plongée. La table ronde n’est pas un préalable. Ce n’est pas l’injonction du professeur, c’est un aboutissement, la décision finale des élèves. C’est simple mais adapté au sujet.

Le travail dans la classe va passer successivement de l’indifférence dubitative à la concurrence houleuse et finalement à la coopération… passage de joutes parfois violentes à l’émulation, voir le jeu final du « bras de fer ». On apprend, ce faisant, à ritualiser les rapports de force, à jouer avec l’affrontement. Distanciation : on passe de la concurrence à la connivence. On va passer également du rejet violent de la remplaçante, Madame Lemoucheux, qui n’avait pas été pré- sentée aux élèves… à l’accueil respectueux de Léon Zyguel. Les civilités, l’accueil des étrangers dans la classe, ça se construit aussi dans la durée.

La prof est toujours là, à pied d’œuvre. Nombreux plans où on la voit seule, derrière ses lunettes. Elle réfléchit, mais on sent qu’elle apprend avec eux également, elle apprend d’eux, elle s’émancipe avec eux. C’est la base d’une véritable pédagogie…

Au fur et à mesure vont se construire des objets culturels complexes : « Allez au fond des choses, il ne faut pas en rester à la forme superficielle » :

 Sur le rôle de la France dans la déportation des enfants tout d’abord, on passe du refus (Mais non, pas la France !) à l’étonnement de la découverte ; s’ensuivront la recherche documentaire, avec ses étapes (il y a l’étape initiale du pillage quantitatif sur internet), et finalement l’analyse de l’affiche de Pétain désormais saisie comme mensonge et propagande. De même, la présentation argumentée du dessin de la chambre à gaz, où les corps des suppliciés ont été habillés par le dessinateur pour redonner à chacun sa singularité et sa dignité. Cette entrée collective dans la complexité des choses est la marque indubitable d’un acte éducatif accompli, c’est-à-dire parfait.

Ah j’allais oublier un petit épisode qui a son importance. Sous la pression et une tentative d’agression sexuelle, une élève change de tenue vestimentaire et prend le foulard. L’émancipation n’est pas chose facile, avancées aujourd’hui, reculs demain, elle est à poursuivre et reprendre chaque jour, indéfiniment.

L’émancipation, c’est fragile. Surtout « ne pas relâcher les efforts ». Au final, évaluation : 4 étoiles

Gilbert Boche, professeur de lettres modernes, retraité, Orléans

Bande annonce du film : https://www.youtube.com/ watch?v=aDMSxAye7Sc

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