Lors des débats sur le système éducatif et ses évolutions, il est un acteur et non des moindres qui est régulièrement oublié des échanges et décisions : les jeunes. C’est particulièrement le cas des lycéens dont on pourrait pourtant penser qu’ils sont suffisamment mûrs pour participer à la prise de décision sur leur quotidien. Si l’on veut penser les droits des lycéens pour une éducation émancipatrice, il nous faut partir du contexte dans lequel les lycéens sont plongés depuis plusieurs années.
Un cycle de réformes, ou plutôt de régressions, est en cours avec pour but d’écarter les premiers concernés du devenir de l’institution scolaire, actant ainsi l’enterrement de la démocratisation de l’éducation. Il s’agit au contraire de livrer les enseignements et les jeunes aux logiques marchandes. Comment interpréter, sinon, l’inscription dans toutes les dernières réformes de la logique de professionnalisation et de lien au monde du travail ?
En définissant les savoirs comme des compé- tences à acquérir, inscrites dans un parcours individuel, il s’agit bien de définir le parcours scolaire comme la préparation unique vers le monde du travail, seul objectif pour l’étudiant qui doit alors s’y adapter pour faire ses choix. « L’adaptabilité » fait de l’élève un futur travailleur qui devrait apprendre à vendre ses capacités plutôt que définir les suites de son parcours et acquérir les savoirs nécessaires.
Cette logique s’appuie sur trois phénomènes pour imposer sa voie.
■ D’abord, établir l’idée que les lieux d’établissements sont des lieux de désordre. Par une rhétorique définissant les jeunes comme une catégorie dangereuse et irresponsable, il s’agit de mettre l’accent sur les dérives en termes de violences, de montée des menaces comme le communautarisme. S’il ne s’agit pas de nier des phénomènes existants, leur généralisation sert d’autres objectifs politiques. Dans la conception d’un enseignement formaté aux besoins marchands, l’espace scolaire doit devenir un espace neutralisé en termes d’expressions et de revendications… comme celui de l’entreprise.
■ La nouvelle génération de directeurs d’établissements, davantage formés à l’objectif d’administrer la vie scolaire sur un modèle de management, atteste de cette vision. Ils ont d’ailleurs eu comme mission première, avec l’autonomie accrue des établissements, de construire des règles de fonctionnement plus strictes notamment à l’égard des lycéens. Pour le dire plus clairement, c’est une dynamique de répression qu’ont connu les lycéens depuis quelques années. Alors que les mobilisations étaient légion, leur répression a été très importante notamment par des procé- dures d’exclusion et de sanction facilitées dans les règlements intérieurs.
■ Rappelons également que le rapport de la commission Stasi sur les signes ostentatoires à l’école préconisait l’interdiction des signes religieux et politiques. Cette dernière n’a pas été retenue mais il existe de nombreux cas avérés de pratiques militantes interdites devant et dans les établissements scolaires au nom du refus du prosélytisme.
Les discours autour de la morale laïque viennent y rajouter une dimension moralisatrice. Les mobilisations et expressions des lycéens sont perçues comme des troubles quoi qu’il arrive. Qu’on en juge par les qualificatifs apposés à leurs batailles et les individus qui les mènent : irresponsables, instrumentalisées, casseurs.
L’inscription d’une logique de morale, qui fait référence à un temps du système scolaire autoritaire et élitiste, est une menace sur la parole des lycéens d’autant plus que leur rôle est perçu dans un contexte de pénurie et de redéfinition du rôle des transmetteurs de savoirs que sont les enseignants.
Les fermetures d’établissements, de filières, les sorties du réseau d’éducation prioritaire mettent en péril le droit à une scolarité réussie pour de nombreux jeunes. C’est en effet les conditions basiques d’accès à l’éducation qui sont remises en cause. C’est l’objectif de lutte contre les inégalités qui a été abandonné. On ne parle plus d’égalité des droits mais d’égalité des chances, actant que la réussite des élèves relève d’une démarche individuelle et méritante.
Enfin, les capitalistes ont saisi la révolution informationnelle pour redéfinir le métier d’enseignant, affaiblissant ainsi la dimension de transmission des savoirs. De professionnels de la transmission des savoirs les enseignants deviennent des accompagnateurs pour les élèves de plus en plus engagés à mener seuls recherches et apprentissages ou encore à trouver des solutions individuelles s’ils rencontrent des difficultés. Se trouvent ainsi évacuées les inégalités d’accès aux savoirs et notamment aux outils numériques. Les accompagnateurs peuvent dans ce raisonnement être d’autres interlocuteurs que des enseignants. Qu’on pense aux entreprises qui prospèrent sur l’aide aux devoirs ou les entreprises qui signent des partenariats avec l’éducation nationale pour enseigner l’esprit d’entreprise et ses codes.
C’est dans ce contexte lourd d’une école profondément inégalitaire, marquée par des logiques libérales dans son fonctionnement, son rapport à l’acquisition des savoirs et qui se sanctuarise sur des logiques morales et punitives qu’il faut penser les droits des lycéens et leurs perspectives d’émancipation. Face à ce constat, quelles pistes envisager ?
L’idée d’une éducation nationale garantissant l’accès au savoir pour tous peut se construire autour d’une démarche alliant citoyenneté, maitrise de son parcours et égalité. Elle doit être au cœur d’un processus d’émancipation avec comme dynamique centrale les droits des premiers concernés que sont les lycéens.
Un accès égal sur le territoire
La première des démarches consiste à rendre réelle l’égalité d’accès aux formations sur l’ensemble du territoire. En effet, le parcours d’études est souvent déterminé par les formations disponibles près de chez soi et tend à reproduire les inégalités sociales avec les meilleures « offres » dans les territoires qui concentrent les populations les plus aisés. C’est une bonne partie du futur parcours professionnel qui se joue ici.
C’est une offre de formation disponible partout, sans critères marchands, qui doit prévaloir. Les options ne doivent plus être des facteurs de sélections à vocation élitiste mais des compléments à un tronc commun ambitieux à toutes les filières. Les outils à disposition en ce début du 21e siècle, particulièrement le numérique, doivent favoriser l’égalité plutôt que d’accentuer les différences sociales.
Il y a besoin d’affirmer l’accès aux mêmes enseignements de qualité. Quand l’idée de socle laisse le terrain libre aux parcours individuels dans lesquels les lycéens piocheraient à leur guise (sans évoquer les inégalités), le tronc commun vise une formation commune à tous pour permettre à chacun d’avoir les clés de compréhension de son monde et de maitrise de son parcours.
L’idée de démocratiser réellement l’accès au savoir reste un objectif plus que d’actualité à l’heure où le système éducatif français est parmi les plus inégalitaires dans les pays industrialisés. Il s’agit donc de penser un système éducatif qui non seulement tente de réparer les inégalités sociales en son sein mais à les combattre bien après.
Promouvoir un réel service public d’information et d’orientation
Cette offre de formation égale doit s’accompagner d’une nouvelle organisation plaçant les aspirations des jeunes au cœur du processus éducatif. Pour cela, des contenus ambitieux et accessibles doivent s’accompagner d’une maitrise pleine et entière du parcours par les lycéens. La construction d’un service public d’information et d’orientation est indispensable pour que chaque jeune puisse choisir sa future formation et tracer son parcours de vie. Combien de lycéens sont sous-informés quand les futurs choix sont réduits à deux séquences dans l’année où il faut valider des vœux sur une plateforme ? Quand près de 100 000 jeunes par an sortent du système scolaire sans formation dont 10 000 par défaut d’affectation, il est urgent de construire des structures permettant de repérer et guider ces jeunes.
Alors que le service public régional est testé dans certains départements en lien avec le nouvel acte de décentralisation (liant l’orientation à la formation professionnelle), il est nécessaire d’affirmer un maillage de structures publiques de proximité avec des personnels qualifiés et formés en consé- quence pour guider les jeunes dans leurs choix d’avenir. Il s’agit avant tout d’un droit d’autant plus que les logiques de réseaux, ou en termes sociologiques de capital social, sont très liées au milieu social d’origine. Pour ne plus laisser l’orientation aux mains des salons d’entreprise, c’est à la puissance publique d’agir et permettre un choix réel et égal à tous.
Démocratiser par une vraie parole lycéenne et une ouverture au monde extérieur
Dans le climat de répression énoncé plus haut, il est souvent rétorqué que les lycéens peuvent s’exprimer via leurs élections. La forte abstention à ces élections et le peu de pouvoir attribué aux lycéens donne l’ampleur du chantier pour faire des lycéens des acteurs de leur lieu de vie et d’études.
Une réelle vie démocratique implique de savoir laisser des espaces d’expression aux lycéens. Cela pourrait se faire par des espaces disponibles où ceux-ci pourraient construire des temps de débat en lien avec l’actualité et en corrélation avec les cours d’éducation civique. Les programmes scolaires pourraient être soumis à l’évaluation des jeunes. S’il ne s’agit pas de leur donner le travail de construction des programmes, ils pourraient être partie prenante du processus.
Des contenus critiques et émancipateurs se pensent en effet dans une démarche démocratique. Il s’agit de sortir de la logique d’un enseignement supposé neutre qui peut reproduire une forme de violence sociale délégitimant les savoirs extérieurs au milieu scolaire, notamment à l’égard des jeunes de milieu populaire. S’il ne s’agit pas de tout mettre sur le même plan, l’école doit se nourrir de la vie locale, construire du lien avec les familles, leur vécu tant elle peut être un espace de dialogue et d’apprentissage basé sur l’échange qui reçoit mais bouscule également les schémas. Les débats sur la sanctuarisation de l’école cherchent à éteindre cette richesse et ce défi d’une école où chacun se sent impliqué pour n’ouvrir le système éducatif qu’aux seules logiques marchandes.
Les élus lycéens pourraient au contraire être des relais avec le monde extérieur, la vie syndicale, associative ou étudiante pour ne plus laisser le monopole du débat au monde patronal. Cela pourrait se faire sur des enjeux d’orientation mais également des débats de société, des points de programme scolaire. L’institution lycéenne qui vit des heures difficiles ne peut trouver un nouveau souffle qu’en pensant les changements profonds en termes démocratiques et pédagogiques avec la participation des lycéens. Penser l’émancipation, c’est penser les lycéens comme acteurs de leur vie, en capacité de définir par une analyse critique leurs besoins et leurs aspirations. C’est raisonner en faisant de l’égalité un enjeu central par l’accès matériel et territorial aux formations mais aussi en considérant comme fondamentale la parole lycéenne.
A l’heure de la marchandisation des savoirs, construire ce tronc commun et citoyen, c’est s’assurer que Myriam, Tristan, Jeanne et tous les autres lycéens soient au cœur des préoccupations bien plus que l’Oréal ou Acadomia.
Nordine Idir, Secrétaire général du MJCF
le 02 juin 2015
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