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A l’école maternelle : bienveillance pour les « faibles » ou conditions égalitaires de réussite ?

De la bienveillance

Cette notion que l’on retrouve dans le monde de l’entreprise (gouvernance bienveillante, gestion relationnelle bienveillante…) fait désormais florès depuis 2012 dans le monde de l’éducation ! Il semble même faire consensus, mais chacun sait que le consensus peut avoir pour premier mérite d’éviter la réflexion et la discussion, surtout lorsqu’il s’appuie sur une sorte d’évidence incontestable : comment envisager en effet la promotion de la malveillance, la non prise en compte des personnes que sont les élèves, particuliè- rement bien sûr lorsqu’ils sont jeunes. C’est d’ailleurs ce que prônent les programmes : L’école maternelle est une école bienveillante, plus encore que les étapes ultérieures du parcours scolaire. Etrange proposition qui interroge sur le sens même d’une bienveillance qui serait plus nécessaire pour les plus petits. D’autant qu’a disparu du projet de programmes conçu par un groupe d’experts cette phrase à propos des missions de l’école : C’est dès l’école maternelle qu’il importe de s’attaquer aux inégalités de réussite scolaire. L’institution est attentive à ne pas sous-estimer ni surestimer les inégalités socio-économiques, territoriales, culturelles ou entre filles et garçons pour éviter l’apparition précoce de difficultés scolaires. Dans cette optique, la scolarisation des enfants de moins de trois ans est développée en priorité dans les écoles situées dans un environnement où le rôle de l’école maternelle est essentiel.» On est donc bien au cœur de la question posée : bienveillance ou conditions de réussite pour tous ? Posture morale, ou engagement politique à ne laisser personne sur le bord du chemin ?

Petit détour par le dictionnaire et l’étymologie.
Venu du latin (bene volens : vouloir le bien, faire preuve de bonté), c’est pour le Larousse une disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui , pour Quillet, il s’agit de vouloir du bien à autrui, alors que le petit Robert définit la bienveillance comme disposition favorable envers une personne inférieure (en âge, en mérite). De connotation morale et affective, la bienveillance entraîne à la compassion ou à la complaisance comme l’indiquent les synonymes, ou encore à la bonté. Continuons nos recherches dans le dictionnaire :
■ Compassion : « sentiment de pitié qui nous rend sensible aux maux d’autrui (apitoiement) ».
 ■ Complaisance : « disposition à se conformer aux goûts, à acquiescer aux désirs d’autrui... pour lui plaire ».
■ Bonté : « disposition de quelqu’un à être compatissant, charitable »

Un climat idéologique de désociologisation
 Bien être, bienveillance, sont prônés alors même qu’augmente la précarisation, que s’aggravent les conditions de vie jusqu’à relever de la survie pour certaines familles. Alors même que les effectifs explosent, que la formation est le parent pauvre… La bienveillance s’accommode de l’ordre du monde. S’agirait-il de le rendre plus supportable (acceptable) à ceux qui rencontrent le plus de difficultés ? Il suffit pour s’en convaincre de mesurer la place de plus en plus grande des neurosciences affectives et sociales (sic) dans ce qui reste de la formation continue des enseignants mais aussi dans la formation des cadres institutionnels. Ce courant scientifique, très implanté aux EtatsUnis, se revendiquant des travaux en neurobiologie qui ont mis à jour la plasticité du cerveau et les formidables possibles qu’elle ouvre, fige voire, essentialise certaines particularités du cerveau en affirmant par exemple que le stress est héréditaire et le « tempérament » (?) génétique. Le risque est grand d’une biologisation qui réintroduit de la fatalité là où interagissent le génétique et le social. Qui aboutit à des réponses individuelles (nécessité d’un climat affectif sécurisant au nom de l’articulation, que l’on redécouvre semble-t-il , entre émotion et cognition !!). Bien évidemment comment ne pas être en accord avec les préconisations de ce courant : écouter les enfants, ne pas les humilier ni les frapper, ne pas crier, comprendre leurs inquiétudes ? … Toutes ces « nouveautés » masquent l’évacuation de la question sociale, dé-réalisent le problème de fond posé (celui d’un échec socialement ségrégatif) et tend à culpabiliser les parents et les enseignants. Suffirait-il de connaître le cerveau pour que les enfants deviennent un jour « des adultes libres et heureux » !

 … par l’individualisation
 Mais que signifie la « prise en compte » des enfants ? Deux manières totalement différentes de l’appré- hender, soit en s’adaptant à leurs «besoins», leurs «intérêts», leur développement, considérés comme constitutifs, soit en donnant à l’école pour mission de créer de nouveaux besoins, faire découvrir de nouveaux goûts et intérêts, c’est-à-dire en évitant l’assignation à des différences construites dans les histoires singulières. Sinon le risque est majeur d’« une assignation symbolique au déclassement… qui n’interroge pas les logiques sociales dont il relève, ni les pratiques éducatives qui le perpé- tuent » 3. Les conséquences en sont pour l’élève l’assignation à résidence de ses origines, le manque de confiance en soi, l’enfermement dans le déjà là, le connu, la dépendance affective et cognitive à l’égard de l’adulte (dont on sait qu’elle est une des caracté- ristiques des élèves qui rencontrent des difficultés), l’empêchement de tout processus d’émancipation. C’est aussi la porte ouverte à une multiplication d’aides individuelles, des remédiations diverses à l’intérieur ou à l’extérieur de l’école 2 pour les élèves-en-difficulté (en un seul mot ou encore fragiles (mais par rapport à quoi ou pourquoi ?).

Que deviennent les métiers ?
L’introduction insistante de la bienveillance est un pas de plus vers une transformation de la conception du métier 3 : la compétence professionnelle ne relèverait pas d’une construction, d’une élaboration pédagogique et didactique permise par la formation et l’analyse des pratiques mais s’inscrirait avant tout dans les dispositions de la personne. Réussir à bien faire classe obéirait donc davantage à une autorité naturelle du maître qu’à un savoir-faire professionnel. La réussite des élèves s’inscrirait davantage dans la capacité d’empathie que dans l’élaboration didactique. Pour exemple, un guide du ministère et destiné aux collèges qui s’intitule : « une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves » propose des remédiations individuelles pour faire face à des comportements souvent liés à l’adolescence, avec une seule proposition pédagogique.

Par ailleurs comment ne pas faire le constat amer que ladite bienveillance ne concerne sans doute pas les enseignants, qui subissent la détérioration de leur situation professionnelle : salaires notoirement bas, conditions de travail aggravées, (en particulier avec les changements de calendrier scolaire vendus comme une prise en compte des rythmes naturels des enfants !), formation initiale plus que problématique, formation continue quasiment inexistante…

 La question de l’émancipation n’est pas un gadget, même en maternelle !
La bienveillance, l’invocation du bien-être n’interrogent pas les fondements du cadre existant: en quoi permet-elle aux enfants de comprendre la fonction de l’école, le sens des apprentissages, ou encore que les mathématiques ouvrent à une lecture du monde ? Il est tout à fait possible d’être bienveillant dans une école inégalitaire. Mais la bienveillance comme la tolérance dépendent du bon vouloir de ceux qui l’exercent et la prescrivent et établissent ce faisant des relations inégalitaires, voire de dépendance, entre ceux qui la prodiguent et ceux qui en « bénéficient ». Que se passe-t-il s’il n’y a pas de cadre qui permette de se déprendre du pouvoir de l’autre ? Si le bienveillant cesse de l’être, que devient celui qui a profité de sa bonté ?

Il s’agit donc de rétablir la professionnalité enseignante qui ne saurait relever du seul bon vouloir individuel. Le pédagogue (paidagôgos) est celui « qui conduit les enfants » de la maison à l’école, sur les chemins des savoirs… Il se situe donc à une place déterminante dans le développement de tout enfant, car il est un passeur, celui par lequel l’accès aux connaissances est rendu possible, celui qui permet de s’émanciper de la tutelle familiale, de se déprendre de ses origines (sociales, culturelles, ethniques). Il lui faut pour cela avoir la conviction intime que tous les élèves sont capables d’apprendre et de se transformer. Laissons la bienveillance aux messieurs-dames patronnesses pour nous mobiliser sur un projet politique authentiquement démocratique, celui de l’accès aux savoirs pour tous, non comme supplément d’âme ou aumône sélectivement dispensée mais comme nécessité pour la société et chacun de ses membres.

Christine Passerieux
 Rédactrice de Carnets Rouges

(1) Jacques Bernardin, Président du GFEN, La bienveillance en éducation, Assises de l’Education, Saint Etienne-du-Rouvray, 23/11/2013
(2) Stanislas Morel , Médicalisation et psychologisation de la difficulté scolaire, La Dispute, 2015
(3) Paul Devin, secrétaire général du SNPI-FSU, Méfions nous de l’usage si répandu de la notion de bienveillance, Stage FSU, Bordeaux, 14 /10/2014

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